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La Femme, victime avant et après son désengagement de Boko Haram

Jeudi 17 Novembre 2022

Au lieu d'investir un million de dollars sur une étude d'un projet de construction d'un CTO, vaut mieux venir au secours des femmes désassociées et leurs enfants qui souffrent de la malnutrition.


Mme NDIMENDOUDE Caroline, Coordinatrice du CEDPE
Mme NDIMENDOUDE Caroline, Coordinatrice du CEDPE
Centre d’études pour le développement et la prévention de l’extrémisme
CEDPE
Coordinatrice du CEDPE, chargée du service genre.
carolinendimen.cedpe@aol.com
Tel : 61237198
 
La Femme, victime avant et après son désengagement du maquis de Boko Haram
La femme qui est le pilier central, sinon l'ossature de la stabilité sociale, est tombée dans un double piège. D'abord, forcée de prêter allégeance au groupe Boko Haram, elle a été la principale victime de tous les abus et atrocités pendant son séjour dans le maquis du groupe. Alors dissociée du maquis de Boko Haram, elle est victime de l'indifférence, de la maladie, de l'ignorance et de l'absence de réintégration socioprofessionnelle.
Selon une étude effectuée par le CEDPE en 2020, sur 2544[[1]]url:#_ftn1 désengagés, 1172 hommes ou 46%, alors que le nombre de femmes s'élève à 1372, soit 54%. Le nombre de désengagées féminins est supérieur à celui des hommes. Le nombre de femmes en 2019 a augmenté de façon significative par rapport aux statistiques de 2018, soit environ 11,3 % de plus.
Ces chiffres démontrent que la présence et le rôle de la femme au sein de Boko Haram n’était pas négligeable. Il convient également de rappeler que dans cette région, la polygamie est rependue et un homme peut avoir quatre épouses dans son adhésion au groupe extrémiste. C'est pourquoi le nombre de femmes est assez important parmi les désengagés. Il faut également souligner que la femme que l'idéologie jihadiste « sous-estime» dans les opérations militaires est rarement autorisée à participer au combat (...).  
  • « Les femmes s’occupent du ménage et de l’entretien des combattants (laver les vêtements). C’est une situation de quasi-esclavage. À plusieurs fois, j’ai vu des femmes violentées, frappées et violées par les combattants de Boko Haram. C’est inhumain et cela me donne encore des frissons » (F40).
Une partie de jeunes filles, endoctrinées et formées, servaient de bombes humaines. Formatées et équipées d’EEI (engins explosifs improvisés), la tranche d’âges des jeunes filles est de 10 à 16 ans. Les données analysées par les chercheurs (Jason Warner et Hilary Matfess)[[2]]url:#_ftn2 sur la période d’avril 2011 à juin 2017, ont montré, sur l’intervalle temps étudié, que les femmes constituent 53% des kamikazes[[3]]url:#_ftn3 alors que 81 candidats sont clairement identifiés comme étant des enfants ou des adolescents.
 
En fait, le désir de recruter des femmes découle de l'idée qui prévaut dans les organisations extrémistes selon laquelle la femme pourrait être un butin de guerre, que les Moudjahidine doivent en bénéficier, surtout en ce que concerne le mariage, concédé comme un droit acquis aux combattants conformément à l’idéologie des extrémistes. Parmi les méthodes adoptées par le groupe jihadiste, la femme peut être contrainte au divorce ou soumise à assouvir le plaisir sexuel des Moudjahidines après leur retour du combat surtout si son mari est accusé d’apostat.    
 
Les divers témoignages dévoilés par des femmes ayant séjourné dans les territoires sous contrôle de Boko Haram ont démontré combien difficiles sont les conditions qu’elles ont subi au nom d’une idéologie archaïque attribuée à un Islam innocent, qui n’a rien à voir avec les interprétations fallacieuses prônées par des vendeurs d’illusions. Des injustices au nom de l’Islam à l’égard des femmes, les extrémistes en ont beaucoup commis. Certaines femmes avouent que pour se protéger des viols collectifs, elles ont accepté de céder au mariage ou d’entretenir des relations sexuelles avec la plus haute instance :
  • « Moi j’avais de bonnes relations avec les chefs. La vie du camp est comme une vie de prison. On n’avait pas de liberté de mouvement » (F36) ;
  • « Après le décès de mon mari, sous la menace, j’étais obligée d’entretenir des relations sexuelles avec un commandant du groupe. C’est à prendre ou à laisser » ;
Sans vouloir citer tous les témoignages[[4]]url:#_ftn4 en notre possession, je voudrai tout simplement poser la question suivante :
Que sont devenues les 1372 désassociées ayant échappé au maquis de Boko Haram ? ces femmes qui avaient réussi à rejoindre le territoire de la légalité et qui se sont rendues aux autorités sécuritaires et administratives de la province de Bol ? Eh bien, je vous informe que malgré la multiplication des missions, l’abondance des projets et des promesses non tenues, la situation de ces femmes désengagées reste déplorable :
94,49% n’ont pas de pièce d’identité alors que l’absence de papier pose une sérieuse difficulté d’identification, entrave quelque part la scolarisation des enfants et crée une sorte de statut d’apatride dans son propre pays.
Au total, il y avait, fin 2019, 11 827 enfants de désengagés. Ce résultat est obtenu à partir de la somme de tous le nombre d’enfants de désengagés ; 617 personnes qui ont six enfants ou plus éprouvent des difficultés en nourriture et en matière de logement.
Les femmes, en grande majorité, font part de leur insatisfaction quant à leur accueil après leur retour. Elles estiment être abandonnées par l’État et les organisations non gouvernementales. Elles évoquent plusieurs difficultés auxquelles elles font face, notamment alimentaires (85,06%), en matière de logement (72,87%) ou autres (moyens financiers pour démarrer une activité (35,18%).
C’est pourquoi, il ne sert en rien de continuer à dépenser des millions dans des missions, des forum, d’études de projets ou de prévoir la construction d’un CTO mais de venir au secours des femmes qui doivent mieux bénéficier des politiques de prévention sanitaire et de soins liées à certaines maladies récurrentes tel que le paludisme. Il est nécessaire de mettre en place une série de consultations et assistance psychiques et psychologiques en raison de la violence des faits que chacun d’entre eux a subi. Ces consultations doivent viser tous les désengagés et prioritairement les femmes et aussi les jeunes âgés de 18 à 30 ans.
Enfin, je vous invite à bien vouloir se pencher sur le projet de stabilisation que le CEDPE a élaboré et qui consiste à changer l’image de la province de Bol.
Je vous remercie.
Mme Caroline Ndimen
Coordinatrice du CEDPE, chargée du service genre.
17 novembre 2022
 
 
 
 
 
 
[[1]]url:#_ftnref1 Enquête effectuée en sept/oct 2019 et l’étude a été effectuée en 2020.
[[2]]url:#_ftnref2 ADOUMADJI MADJASTAN Magloire, Consultant en sécurité et défense, Diplômé du Centre de Recherche d’Etudes Politiques et Stratégique de l’Université de Yaoundé II. Le 4 septembre 2017.
[[3]]url:#_ftnref3 Dans les quatre pays du bassin du Lac Tchad.
  • [[4]]url:#_ftnref4 « Il y a 4 femmes de mon village remariées de force aux combattants de Boko Haram mais qui sont retournées au village », selon Mara Abdou Malloumi (GomiromPili) 75 ans qui témoigne.
Enrôlée de force dans son village à Midi Kouta, Z. A. est désengagée de Boko Haram. Elle dit s’être remariée à un élément de Boko Haram trois mois après avoir été conduite à Tchoukou Madjila au Nigéria. Elle dit que pour qu’une femme soit remariée à un autre, il faut qu’elle ait son cycle menstruel successivement pendant trois mois. Elle dit ne pas être forcée à se marier à un homme mais l’occasion lui a été donnée de choisir Mahamat M., un ressortissant de son village. Elle a eu un enfant avec ce dernier. Elle a pu s’échapper de Boko Haram lorsque les éléments de Shékau et Mahamat Nour s’affrontaient.
B. M. K, est une femme de Midi Kouta qui a été enlevée par Boko Haram de son village raconte :
- « On a marché un mois pour arriver à Boka au Nigéria au bord d’une île. J’ai passé deux ans avec Boko Haram. J’ai été remariée à un homme de mon village par peur de représailles ou d’être déportée dans un autre milieu. J’ai opéré un choix sans être forcée. Trois mois après le mariage avec Bokoye Mbomi, j’ai pu quitter Boko Haram. Mahamat Nour a autorisé la liberté à tous ceux qui veulent partir ou rester. Je suis rentrée et j’ai regagné mon mari avec mes enfants et je vis actuellement hors de mon village à Méléa»
Selon plusieurs témoignages, des femmes sont exposées aux viols ; soit devant l’époux accusé d’avoir commis un acte contraire aux lois du groupe, soit en son absence, par exemple parce qu’il est chargé d’une mission. Il est aussi courant que le groupe organise un remariage collectif de femmes en l’absence de leurs maris – ayant réussi à s’enfuir ou ayant refusé de prêter allégeance au groupe extrémiste.
  • « Ils forcent les femmes à vivre avec un autre homme, quand bien même elles sont déjà mariées (…) c’est contre la loi de l’Islam ».
  • « Ces gens interprètent le Coran comme bon il leur semble ».
Certaines femmes confessent les rôles qu’elles ont eu à jouer aux côtés de leurs époux pendant qu’elles étaient dans le camp du groupe djihadiste :
  • « J’ai fait 4 ans dans le camp avec mon mari qui est un des maîtres de l’école coranique et combattant. Sans le vouloir, je suis devenue par la suite combattante. J’avais donc un statut de protégée puisque mon mari répondait de moi à chaque fois qu’on a cherché à me faire des violences » (F16).
A défaut de s’exprimer clairement sur les actes corporels qu’elles ont subi pendant leur séjour dans les maquis de Boko Haram, beaucoup de femmes se limitent à des gestes, des grimaces ou des phrases quelques fois décousues faisant paraître le chagrin et l’amertume sur le visage :
  • « La vie est dure dans le camp » ;
  • « Ce n’est pas facile à supporter » ;
  • « Je n’ai jamais imaginé que ces gens sont ainsi ».
Des phrases décousues expliquent manifestement des épreuves dures, des situations de viol, comme l’indique plus explicitement cette interviewée :
  • « J’ai subi de la torture physique et morale dans le camp de Boko Haram. J’ai été mariée de force à un petit combattant de Boko Haram. Je n’ai jamais pensé que des petits enfants n’ayant même pas l’âge de mes enfants pourraient être criminels et cruels » (F43).
On peut conclure que la majorité de femmes ayant fait volontairement ou non allégeance à Boko Haram sont soumises à des violences sexuelles. Prenons l’exemple sur l’histoire de la jeune fille Hawa, enlevée à l’âge de14 ans à peine. Hauwa vivait heureuse avec son frère, son père et sa mère à Bama, dans le nord-est du Nigéria, quand un commando de Boko Haram fait irruption dans le village (…) Et pendant deux ans, elle va subir coups et viols quotidiens : « Ils nous battaient et nous violaient à tour de rôle tous les jours, sans aucune hygiène », raconte la jeune femme. Hawa tombe enceinte.