La condition des femmes au sein de Boko Haram

Dimanche 18 Juillet 2021

Parmi les méthodes adoptées par le groupe jihadiste, la femme peut être contrainte au divorce ou soumise à assouvir le plaisir sexuel des Moudjahidines après leur retour du combat surtout si son mari est accusé d’apostat.


La femme occupe une place importante dans l’effectif du groupe. Boko Haram comptait 6 926 femmes (42,7%) en 2016 et 5260 femmes (soit 1666 de moins) en 2018. (…) En fait, le désir de recruter des femmes découle de l'idée qui prévaut dans les organisations extrémistes selon laquelle la femme pourrait être un butin de guerre, que les Moudjahidine doivent en bénéficier, surtout en ce que concerne le mariage, concédé comme un droit acquis aux combattants conformément à l’idéologie des extrémistes. Parmi les méthodes adoptées par le groupe jihadiste, la femme peut être contrainte au divorce ou soumise à assouvir le plaisir sexuel des Moudjahidines après leur retour du combat surtout si son mari est accusé d’apostat.

Toutefois, le nombre de femmes actives dans les opérations militaires du groupe est piètre compte tenu de l’idéologie des extrémistes qui consiste à cloîtrer le sexe féminin dans les activités comme le ménage, le lavage des habits de combattants, l’apprentissage du Coran et d’Al Hadith ou l’assouvissement de la sexualité des Moudjahidine (…) Dans les territoires occupés par Boko Haram, les femmes sont pratiquement séparées des hommes, isolées des activités et tenues à l’écart des affaires du mouvement. Leurs activités principales se résument au ménage, à la garde d’enfants ou à servir d’informatrices et à « Almout-a aljinsya », esclaves sexuelles.  « Les femmes s’occupent du ménage et de l’entretien des combattants (laver les habits). C’est une situation de quasi-esclavage. A plusieurs fois j’ai vu des femmes violentées, frappées et violées par les combattants de Boko Haram. C’est inhumain et cela me donne encore des frissons »
[[1]]url:#_ftn1 (F40).  À tout moment, ceux-ci peuvent venir satisfaire leur désir sexuel avec n’importe lesquelles. Elles subissent nombre de violences et de viols (…) Des injustices au nom de l’Islam à l’égard des femmes, les extrémistes en ont beaucoup commis.
            L’utilisation des femmes comme kamikazes
Nombreuses aussi sont les jeunes qui servent de bombes humaines pour le compte des extrémistes. Une des stratégies militaires de Boko Haram est l’utilisation des jeunes filles de 10 à 16 ans dans des opérations de kamikaze. Formatées comme les lion’s sons (lionceaux) dans des écoles coraniques et des maquis, équipées d’EEI (engins explosifs improvisés) elles ont créé une sorte de psychose au sein de la population en multipliant les attentats dans des grandes villes (Maiduguri, Fotokol, Damaturu).
« Démultipliant les ruses, elles réalisent même des sortes de sur-attentats, un attentat dans l’attentat. À Kerawa, au Cameroun, le 3 septembre 2015, le premier kamikaze opère sur le marché, ouvrant ainsi la voie à la seconde pour pénétrer dans la garnison toute proche. Le 20 septembre, même tactique, deux jeunes kamikazes visent le grand marché du dimanche à Mora. Débusquées, elles font sauter leurs charges avant d’avoir atteint le périmètre du marché, limitant ainsi le nombre de victimes »
[[2]]url:#_ftn2 . Au Tchad, l’exemple de la jeune fille Halima Adama a tourné en boucle dans les chaînes internationales.
Pourquoi Boko Haram utilise-t-il les femmes
[[3]]url:#_ftn3 ?
Les données analysées par les chercheurs (Jason Warner et Hilary Matfess) sur la période d’avril 2011 à juin 2017, ont montré, sur l’intervalle temps étudié, que les femmes constituent 53% des kamikazes alors que 81 candidats sont clairement identifiés comme étant des enfants ou des adolescents.
D’un point de vue idéologique, la violence reste, en principe, l’apanage des hommes malgré le fait que certains membres influents du clergé musulman avancent des arguments ambivalents selon lesquels, les femmes peuvent participer sur le plan opérationnel au jihad, à certaines conditions. Ainsi, son extension à la sphère féminine marque une rupture doctrinaire fondamentale. En effet, la mobilisation de plus en plus fréquente des femmes, va à l’encontre de la doctrine selon laquelle, la femme ne se bat pas et on ne se bat pas contre une femme. Le recours à la femme est souvent perçu comme un aveu de faiblesse. Cependant, conscient du fait qu’ils sont incapables de faire face au fort déploiement des armées Camerounaises, Tchadiennes, Nigériennes et Nigérianes dans le grand Nord Cameroun et dans le bassin du Lac Tchad, les membres de Boko Haram ont décidé de changer de tactique en recourant aux attentats-suicides. Et pour ce faire, l’instrumentalisation des femmes/filles s’avère une arme redoutable pour deux raisons.
Sur le plan opérationnel, les femmes ont une facilité de dissimulation et de mouvement par rapport aux hommes. Elles présentent un avantage tactique certain, en ce sens qu’elles ont un accès facile à leurs cibles et sont en mesure de mener une attaque furtive avec un effet de surprise désarmant. Par ailleurs, les stéréotypes liés à leur perception dans la société (par exemple sexe faible, non-violence) font que les forces de l’ordre hésitent à les poursuivre et baissent leur vigilance.
Sur le plan médiatique, elles représentent un puissant vecteur de propagande terroriste. L’utilisation des femmes/filles vise, d’une part, à amplifier la peur (effet psychologique), puisque le choc est démultiplié quand ce sont les femmes qui sont impliquées dans ce genre d’attentats. Et d’autre part, la présence des femmes sur un terrain normalement réservé aux hommes peut inciter de nouvelles recrues-hommes, touchés dans leur égo, à s'engager. Sans oublier que c’est un moyen efficace pour renouveler son recrutement. Enfin, étant donné que les femmes incarnent les premiers vecteurs de transmission culturelle et idéologique en tant que génitrice, plus elles sont engagées idéologiquement plus, le projet extrémiste porte ses fruits.
Pourquoi ces femmes/filles se font exploser ?
A l’observation des profils des femmes kamikazes, il en ressort qu’elles sont très jeunes, issues du milieu rural et très peu instruites. En général, ce sont les femmes, filles de combattants ou celles qui sont enlevées par le groupe. Cependant, une catégorisation en deux groupes basés sur un critère d’engagement forcé ou libre doit être opérée.
D’un côté, les femmes /filles forcées à s’engager dans les attentats sont constituées des récalcitrantes, des infidèles, des femmes qui refusent de contracter un mariage forcé, des femmes sur le point de quitter le groupe, des femmes souffrant de déficience mentale, etc. En gros, il s’agit des éléments perturbateurs nuisibles à tout développement du projet extrémiste. Toutefois, on y trouve également certaines qui sont données par leur famille, dans un contexte où toute la famille a rejoint Boko Haram : le père, la mère, etc. Les enfants sont donc, destinés à commettre des attentats. Dans ce cas, les fillettes n’ont pas conscience de ce qu’on leur demande de faire. Parmi elles, on retrouve sûrement certaines qui ont été enlevées, dont on a perdu la trace et qui ont été mariées de force à des combattants de la secte islamiste.
De l’autre, on trouve des femmes engagées volontairement qui sont constituées de veuves, orphelines, celles qui sont engagées volontairement pour la cause du djihad. Les femmes qui s’engagent volontairement peuvent le faire pour des raisons objectives ou subjectives.
Objectivement, elles contribuent par leurs actions à l’atteinte des objectifs du groupe (le djihad contre l’école occidentale, l’élite corrompu du Nigéria, la création d’une société islamiste basée sur leur interprétation du Coran, etc.) et à la réalisation du projet extrémiste. D’autres raisons objectives telles que la pauvreté et la polygamie qui conduisent à beaucoup d’enfants dont les parents ne peuvent s’occuper, facilitent le recrutement au sein du groupe. En outre, le malaise des femmes exclues, marginalisées, non- reconnues, les expose à la radicalisation. Une radicalisation qui est le résultat d’un processus psychologique (un sentiment victimaire de non-reconnaissance, voire de préjudice) et d’une logique idéologique, à fondement identitaire et communautariste.
Subjectivement, elles visent la vengeance personnelle d’un père, d’un frère, d’un mari ou d’un membre de la famille. Ces attentats sont perpétrés par les femmes qui le font par conviction de tuer les ennemis, comme le font leurs homologues masculins. Elles souhaitent aussi, par cet acte accéder au rang de martyr de la foi.
Contrairement aux apparences, la tendance de Boko Haram à l’utilisation des femmes comme bombe humaine s’inscrit plutôt dans une logique tactique dans une guerre de plus en plus asymétrique. Et il n’est pas le seul d’ailleurs à avoir changé de fusil d’épaule, puisque Daech a eu recours récemment à la même tactique même si c’est en rupture avec certains de leurs principes. Cela prouve une seule chose : l’idéologie islamiste extrémiste avancée comme une noble cause n’est qu’un paravent pour ces groupes qui cherchent avant tout à survire. Et pour cela tous les moyens sont bons. Et d’autre part, l’utilisation de la femme comme kamikaze peut être un signe de déclin
[[4]]url:#_ftn4
 
[[1]]url:#_ftnref1 Mission Lac-Tchad, mars- avril 2018, rapport, Archive CEDPE.
[[2]]url:#_ftnref2 Seignobos, Christian. « Boko Haram et le lac Tchad. Extension ou sanctuarisation ? », Afrique contemporaine, vol. 255, no. 3, 2015, pp. 93-120.
[[3]]url:#_ftnref3 ADOUMADJI MADJASTAN Magloire, Consultant en sécurité et défense, Diplômé du Centre de Recherche d’Etudes Politiques et Stratégique de l’Université de Yaoundé II. Le 4 septembre 2017.
[[4]]url:#_ftnref4 http://www.libreafrique.org/content/femmes-kamikazes-de-boko-haram-signe-de-d%C3%A9clin « Selon un Rapport de l’United States Military Academy, publié en août 2017, étudiant tous les attentats suicides de Boko Haram d’avril 2011 à juin 2017, 53% des attaques à la bombe humaine sont perpétrées par des femmes.  D’aucuns diront que ce recours intensif aux femmes Kamikazes est le signe du déclin de Boko Haram, mais qu’un est-il réellement ? »