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« Les mamans et les papas doivent être les premiers remparts contre la radicalisation. », Saliha Ben Ali

Jeudi 3 Mai 2018

Association de prévention de la radicalisation basée à Bruxelles, SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism)


jeudi 3 mai 2018 - 08H58

alt Saliha Ben Ali est présidente d’une association de prévention de la radicalisation basée à Bruxelles, SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism). Son fils Sabri, 19 ans, pris dans les réseaux de recruteurs belges, est parti en Syrie en août 2013 et est mort en décembre. Bon élève, sans problèmes, il n’avait comme il disait jamais amené la police à la maison et se disait traumatisé par les massacres de Syriens par Bachar Al Assad. C’est son mari qui a reçu un coup de fil de Rakka en décembre 2013 pour le féliciter… et lui annoncer que son fils dont on ne retrouvera jamais le corps était mort en martyr. Depuis la justice belge l’a condamné par contumace, car sans corps, le jeune est toujours présumé vivant.

 

Vous avez créé SAVE BELGIUM pour prévenir d’autres drames. Y a-t-il des profils types de radicalisation ?

Les parallèles sont souvent les mêmes : mal être, sentiment de ne pas être à sa place, qui suis-je, sentiment d’inutilité, envie d’agir pour changer le monde, l’altruisme, frustrations, dévalorisation de soi, décrochage scolaire,  colère face aux autres, racisme, discrimination en tous genres, manque de projet de vie, le besoin de reconnaissance…

Le départ ou le passage à l’acte violent dépendra surtout d’un déclencheur difficile à prévoir, une fenêtre d’opportunité sur un terreau favorable, et qui pousse le jeune à aller jusqu’au bout : divorce ou décès d’un proche, rupture, perte d’emploi, évènement inattendu qui vient perturber le quotidien… A cela, s’ajoute pour la majorité des cas, une influence négative très forte de l ‘extérieur (groupe extrémiste) ou via les réseaux sociaux qui pousse à la violence non seulement contre soi mais en définitive contre les autres.

 

Les familles concernées sont un maillon important dans la prévention primaire. Comment se passent les ateliers que vous menez auprès des mamans, et des familles ? Quel doit et quel peut être le rôle des mères et des pères ?

Les ateliers de mamans ne sont pas évidents. Nous faisons face à des cas particuliers à chaque fois. Mais en général, ils se passent bien car cela leur permet de se remettre en question pour apprendre à se connaitre soi-même afin de mieux comprendre son enfant et de communiquer avec lui d’une manière plus sereine et sans trop de stress. Les mamans sont souvent à mille lieux de se douter de ce qui se trame dans la tête de leur enfant, dans leur quartier, dans leur ville. Une idéologie radicale sait très bien exploiter ce vide de connaissance.

Nous nous focalisons plus sur l’enfant que sur le problème. Les mamans concernées sont un plus dans la prévention car elles sont légitimes de par leur histoire malheureusement vécue et les jeunes sont très sensibles à cela et donc se sentent concernés et sont très attentifs lors des animations.

Le rôle des parents doit être plus axé sur les changements de comportement et de discours de l’enfant. Ils restent les premiers « détecteurs » de changement mais pour cela ils doivent être sensibilisés par des séances d’information au minimum. Ils sont en quelque sorte des boucliers. Bientôt je lancerai des activités sur les pères, qui sont tout aussi concernés mais bien souvent plus discrets.

 

Les écoles sont le cœur de votre action. Comment réagit ce jeune public ? Se sent-il concerné ?

C’est énormément d’énergie pour parcourir la Belgique et être au top face à un public difficile un lundi matin comme un vendredi après-midi. Il ne faut pas oublier qu’on a d’autres enfants à gérer.

L’enfant absent est souvent encore plus présent, et il faut savoir gérer les désirs et les besoins de chacun. Le public jeune réagit très positivement aux animations qui leur permettent d’aller plus loin dans la compréhension du phénomène et d’éviter les amalgames et les préjugés. Ils comprennent que cela peut arriver à tout le monde et que le processus d’embrigadement est plus compliqué et vicieux et que les jeunes se font vite happer par les réseaux virtuels ou réels.

Ils prennent la mesure du danger après les témoignages des personnes concernées et sont étonnés des profils qui partent. L’école a du mal à avoir prise quand le jeune est radicalisé dans un cadre privé ou non.

 

Vous favorisez le dialogue tant avec les jeunes qu’avec les parents dans un processus global d’échange ?

C’est pour cela que les parents sont convoqués pour une discussion voir même un suivi. Le jeune sera suivi par un centre psycho médicosocial. Mais cela dépend du degré de radicalisation du jeune. Parfois, ce dernier préfère arrêter l’école pour éviter une pression supplémentaire. Là on le perd complètement.

 

Comment jugez-vous la réponse publique en France et en Belgique en termes de prévention ?

La réponse est insuffisante par rapport aux efforts sécuritaires mis en place. C’est plus de l’ordre du bricolage et nous sommes obligés de faire avec le peu de moyens dont on dispose. Les associations sont souvent en difficulté alors que de l’argent, il y en a. Manque d’effectifs pour les animations, manque de budget, manque de soutien ou de supervision…

Heureusement que nous avons la foi. Je crois qu’il faut appréhender la radicalisation dans une logique qui dépasse celle des Etats : nous sommes dans un problème mondial et nous devons apporter une réponse globale. La menace est transnationale, la solution ne peut être que transnationale. A commencer par les processus Euromed et la coopération entre nos pays et le Maroc, la Tunisie et d’autres.

 

Sentez-vous l’influence claire et nette d’internet et de la propagande encore aujourd’hui ? Ou des mosquées ? Ou des deux ? 

Il est clair que depuis que les recruteurs ont été démasqués et condamnés à des peines de prison fermes, l’influence est plutôt virtuelle mais bien réelle sur internet et plus insaisissable. On doit mener ce combat sur la toile et proposer un contre discours qui séduise les jeunes.

Les mosquées officielles ne sont pas vraiment impliquées dans des discours haineux ou de violence car elles sont surveillées. C ‘est plutôt dans les salles de prières clandestines et dans les prisons que cette approche directe reste possible.

On a encore du retard mais on avance. Je me rends souvent en prison et dans les IPPJ pour cela et c’est un travail de très longue haleine. Mais on y arrivera.
 
Propos recueillis par Sébastien Boussois


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