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Entretien exclusif de Mahamat Mahdi Ali, président du FACT

Mercredi 7 Mai 2025

L’anarchie et l’incompétence sont érigées en mode de gestion. Une gouvernance improvisée, aucune planification, chaque crise est une occasion pour détourner, bref la junte maquille ses échecs en victoire.


#Tchad 🇹🇩 | #Entretien exclusif de Mahamat Mahdi Ali, président du FACT, accordé au média sénégalais « Dakar Times » : « C’est l’avenir du Tchad qu’on a assassine » 
 
Un grand intellectuel ! Panafricain pur-sang ! Homme engagé pour son pays et pour son Peuple ! Mahamad Mahdi Ali est un amoureux du Tchad. Il a fait don de sa vie, de sa liberté et de son temps pour sortir les Tchadiens de la souffrance, de la misère et de la pauvreté dans lesquelles, ils sont plongés depuis plus de 30 ans.  Son engagement pour son pays est invariable. Mahamat Mahdi Ali est un leader armé d’une vision panafricaniste d’une rare pertinence. Dans cet entretien, le leader du FACT apporte des éclairages sur plusieurs questions et tend sa main aux acteurs politiques, à la jeunesse, aux femmes et la société civile pour sortir le Tchad en agonie entre les mains d’une milice au pouvoir sans aucune légitimité.
 
DAKARTIMES : Bonjour Monsieur le président du Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad (FACT)  Mahamat Mahdi ALI. Merci de nous accorder cet entretien. Cela fait plusieurs années qu’on ne vous entend plus. Qu’est ce qui explique ce silence ?
 
Mahamat Mahdi ALI : Merci de nous avoir offert cette seconde occasion pour non seulement adresser nos salutations fraternelles au Peuple tchadien mais au-delà, à tout le continent africain. Car la lutte que nous menons depuis bientôt dix ans s’inscrit dans la droite ligne des visions des illustres fils de ce continent tels Nelson Mandela, Kwame Nkrumah, Thomas Sankara etc… L’essence même de cette lutte étant de privilégier l’intérêt général aux considérations particulières, nous avons fait le choix de rester en retrait de toute action de communication pour permettre l’émergence d’une solution politique au problème tchadien. Le refus de communiquer n’était pas une hésitation mais une réponse en soi. Nous avions adopté une stratégie d’apaisement, c’était un silence d’espérance. Nous voudrions parler de paix, de réconciliation et de reconstruction de notre pays. Mais en face, la junte, par choix et dans une obstination sourde avait balayé. C’est l’occasion de remercier, encore une fois, les frères Qataris qui n’ont ménagé aucun effort pour que la réconciliation au Tchad soit une réalité. Mais hélas l’aveuglement de la junte a tout fait échouer.
 
2- La junte tchadienne a organisé des élections législatives et présidentielles gagnées par le parti au pouvoir. Comment analysez-vous ces deux événements ?
 
Mahamat Mahdi ALI : Après la conférence de Doha où le Qatar a mobilisé des moyens matériels et humains considérables. La junte, dans sa fuite en avant, a vidé toutes les résolutions adoptées à Doha, de leurs sens allant jusqu’à violer la résolution de l’Union Africaine qui bannit aux putschistes de se présenter aux élections. Et cela, malgré la bonne volonté exprimer par Monsieur Moussa Mahamat Faki, président de la Commission de l’Union africaine, pour le respect de cette résolution. Depuis, l’exception tchadienne a fait école un peu partout en Afrique. Nous ne pouvons pas parler d’élections face à ces simulacres où les urnes sont bourrées et la volonté populaire trahie. Ce ne sont pas d’élections transparentes, ce sont des mascarades organisées.
 
3- Le Tchad tarde à sortir du lot des pays pauvres du continent. Selon vous qu’est ce qui empêche le pays de relancer son économie ?
 
Mahamat Mahdi ALI : A côté de la mal-gouvernance qui sévit depuis plus de trois décennies, l’économie tchadienne est impactée par non seulement ces violences cycliques organisées et entretenues par un régime aux abois, mais aussi par l’attitude de la junte qui se comporte comme en pays conquis. Peut-on sérieusement parler de développement économique dans un pays où le taux d’accès à l’électricité est de moins de 12% ? L’exploitation du pétrole en 2003, qui aurait dû être un tremplin pour un essor économique a été un fiasco total. Rappelez-vous, au début de l’exploitation pétrolière, le régime fanfaronnait qu’il ferait de N’Djamena la vitrine d’Afrique. Résultats aujourd’hui les tchadiens n’ont pas seulement d’eau potable.
 
Mais la saison des pluies autrefois bénie de Dieu, est plus une œuvre cauchemardesque car à défaut d’infrastructures, tout le pays est noyé. A qui la faute ? le ciel ? surement pas. Le pays est abandonné à son triste sort : sans aucun plan de développement digne de ce nom.
 
4- Il semble que c’est le même système Deby qui gouverne le pays. Est-ce exact ? Qu’est-ce qui le démontre ?
 
Mahamat Mahdi ALI : C’est tout à fait exact. C’est la continuité en pire. L’anarchie et l’incompétence sont érigées en mode de gestion. Une gouvernance improvisée, aucune planification, chaque crise est une occasion pour détourner, bref la junte maquille ses échecs en victoire.
 
5- Nous avons remarqué beaucoup de bruit ces temps au sein de l’armée avec des limogeages, des nominations et même dans le renseignement.  Qu’est ce qui peut expliquer ces mouvements ? D’aucuns parlent d’une gestion clanique de l’armée.
 
Mahamat Mahdi ALI : A dire vrai, cette milice a été de tout temps clanique. Une majorité silencieuse reléguée au second rang et qui tire le diable par la queue. La quasi-totalité des officiers appartient au clan. Cette armée n’est ni républicaine encore moins nationale. Ne vous laissez pas distraire par cette réputation forgée et répétée à longueur du temps sur l’aguerrissement et je ne sais quel autre qualificatif pompeux à l’endroit de cette milice. Quelle armée bénéficiant d’une couverture aérienne française aussi gracieuse (comme l’a eu cette milice) n’aurait pas fait l’affaire sinon mieux ?
 
6- Avant la tenue de la présidentielle nous avons remarqué un rapprochement du président Kaka avec la Russie. D’ailleurs il a été reçu par le président Poutine alors qu’il est vu comme un ami de la France. Qu’est ce qui peut expliquer ce rapprochement ?
 
 Mahamat Mahdi ALI: Nous vivons dans un monde en confusion totale où les adages qui proclament que «les ennemis de mes amis sont mes ennemis » sont chaque jour démentis. Nous ne sommes pas étonnés et cela est un indicateur de la faillite politique des rapports Nord-Sud. On est allé jusqu’à sous-traiter le Tchad à la garde hongroise, milice d’extrême droite, proche de Victor Orban, qui, cette milice, s’est illustrée dans les massacres des minorités Rom et Tsigane en Hongrie. Rien ne nous surprend dans ce monde en ébullition. Et puis, il y a une logique qui saute aux yeux : la Russie n’a jamais aidé des mouvements de lutte. Elle a toujours aidé les régimes. Que cela soit en Afrique ou ailleurs. Nous aurions bien voulu qu’on soit aidé mais au risque de décevoir nos ennemis qui propagent l’existence d’une collusion entre nous et les russes, que nous n’avons eu une cartouche de russes.
 
7- Quel commentaire faites-vous de la suspension des accords militaires entre Paris et Ndjamena et toute cette campagne de communication orchestrée autour à la veille des législatives ?
 
Mahamat Mahdi ALI : A la confusion ambiante, il faut ajouter l’improvisation teintée d’une indignité absurde. Confusion car qui peut vous dire avec précision de l’état des relations franco-tchadienne ? Même au fort moment de la dénonciation de la politique française, nous avons demandé uniquement une neutralité stricte dans le problème tchado-tchadien. Balayer tout d’un revers de main, comme l’a fait la junte, méprisant que la présence française c’était aussi l’épopée de la libération du grand nord tchadien des forces libyens, est absurde. On se rappelle de la tentative d’assassinat du ministre de la Défense française, Charles Hernu à Toulouse, par le frère d’un soldat français mort à Oum Chaloba- Kalaïte. La présence française était l’histoire, histoire des sangs versés, je dirais même histoire des sangs mêlés. Ignorer cela est indigne. Autant que nous aimons rappeler la mémoire des nôtres tombés en libérant la France des nazis, il faut aussi se rappeler le sacrifice de ces français tombés au Tchad en combattant contre la Libye. C’est une question de dignité. Cela dit, la présence française ne doit pas contribuer à pérenniser une dictature.
 
En avril 2021, n’eut été la présence du président français et son soutien inconditionnel au clan, la junte était en débandade.
 
8- Le Gouvernement tchadien est accusé d’être impliqué dans la guerre au Soudan par un soutien à Hemeti! Existe-t-il des éléments qui le confirment ?
 
Mahamat Mahdi ALI : Ce qui se passe au Soudan est un véritable drame pour les tchadiens. Les liens avec ce pays sont si étroits que nos cultures, notre histoire et notre géographie se confondent. Depuis les nuits du temps, les rapports humains, économiques et culturels ont façonné une relation sans égale entre nos deux pays. Des frontières souvent redessinées au gré des évènements historiques aux traditions partagées dans les régions frontalières, tout témoigne de cette proximité profonde. Prendre parti dans ce conflit qui secoue ce pays frère est aberrant voire ubuesque. La junte, au lieu d’aider les Soudanais à se réconcilier, a choisi d’être partie dans ce conflit fratricide. Il faut noter que l’origine même de la rupture avec la France était le fait que les français avaient demandé à la junte de ne pas s’immiscer dans ce conflit. Les conseils et avertissements n’ont aucune prise sur la junte, seul l’argent capte son attention.
 
9- Croyez-vous que ce gouvernement va signer des accords de défenses avec Moscou après le départ de l’armée française ?
 
Mahamat Mahdi ALI : C’est déjà fait. La Russie est présente au Tchad sous couvert de la Hongrie.
 
10- Pouvez-vous nous faire un état des lieux de l’engagement du FACT dans cette bataille pour la libération du Tchad ?
 
Mahamat Mahdi ALI : L’heure de faire les bilans n’est pas encore arrivée car nous sommes toujours dans l’action. Néanmoins, au niveau continental, l’avènement du FACT et ses actions récentes, depuis 2021, ont contribué à mettre à nu les deux poids deux mesures concernant les putschistes. Il faut se rappeler ce qui s’est passé au Mali après le premier coup d’Etat. Les résolutions de l’Union Africaine ont été appliquées stricto sensu : un président civil est désigné. Mais lorsque le coup d’Etat est intervenu après la mort du président tchadien, on a piétiné ces mêmes résolutions, ce qui a poussé les militaires maliens a opéré un second coup. Sur le plan national, les populations civiles regroupées en associations sont très actives depuis 2021. Les tchadiens de tout bord sont conscients de la nécessité du changement et œuvrent tous pour rendre cette aspiration légitime, une réalité.
 
11- Ne craignez-vous pas que Kaka qui a réussi à se faire élire à la présidentielle cherche à rester président à vie ?
 
Mahamat Mahdi ALI : La tentation est là, palpable, mais encore faut-il être taillé pour la porter. Rappelez-vous, juste après le coup d’Etat, il était question que le chef de la junte ne doit pas se présenter aux élections futures, hélas il a piétiné toutes ces recommandations avec une assurance aveugle.
 
12- Comptez-vous travailler dans l’avenir avec d’autres forces politico militaires et même politiques ?
 
Mahamat Mahdi ALI : C’est depuis 2016, année de la création du mouvement, que nous avons adopté une posture consistant à aller vers les autres. La lutte et le changement tant désirés par les tchadiens, sont des questions imminemment nationales et il est nécessaire de s’ouvrir aux politico militaires, aux politiques et la société civile. Il faut avoir une vision d’ensemble, un prisme global. Nous nous sommes engagés sur une voie de service pour les tchadiens alors c’est un devoir pour nous d’aller vers tout le monde surtout la jeunesse.  D’ailleurs, le FACT a mis en place un vaste Programme de Développement Economique et Social pour le Tchad (PDEST). Et la jeunesse sera placée au cœur de l’action lors de sa mise en œuvre. Nous nous ouvrons à toutes les forces vives de la Nation.
 
13- Au plan régional nous constatons ce conflit entre la CEDEAO et l’AES aussi en Afrique centrale nous avons remarqué la crise entre le M23 et la FARDC, s’y ajoute la guerre au Soudan. Selon vous qu’est ce qui explique ces conflits armés dans une Afrique qui souffre depuis toujours de ces instabilités ?
 
Mahamat Mahdi ALI: La recrudescence des conflits et surtout des coups d’Etat sont dues aux faillites des gouvernants qui n’étaient pas à la hauteur des aspirations de la jeunesse africaine. C’est pourquoi, un peu partout au Sahel, des jeunes militaires ont pris leurs responsabilités pour essayer de redresser la situation. Si au Mali par exemple les militaires ont accepté à céder la place à un civil lors du premier coup d’Etat, ils se sont ravisés et ont refait le coup après que le putschiste tchadien ait été accepté. C’était la source des difficultés avec ces organisations sous régionales. En RDC, les gouvernants au lieu de préparer une assise avec la rébellion du M23, ils se sont laissés tenter par les offres faites par la junte tchadienne qui consiste à l’envoi des soldats tchadiens. La junte tchadienne a ses tentacules partout que cela soit en RDC ou au Soudan voisin.
 
14 Le #FACT est-il prêt à dialoguer avec le pouvoir au Tchad pour la paix. Si oui quelle serait votre condition. Si non pourquoi ?
 
Mahamat Mahdi ALI : Le FACT n’a jamais exclu une issue pacifique au problème tchadien. Mais à chaque fois nous buttons sur le refus de ceux qui sont en face. Nous sommes allés à Lomé, à Rome et à Doha sans aucun succès. Pire, tous les pays facilitateurs se sont retirés face à l’insincérité et l’hypocrise de la junte.
 
15- Quel message vous lancez à la population tchadienne surtout à la jeunesse.
 
Mahamat Mahdi ALI : Le moment est grave. Depuis plus de trois décennies, les tchadiens vivent sous le joug d’un régime dictatorial, aveugle à leurs souffrances, sourd à leurs cris, et incapable d’assurer l’essentiel : la liberté, la santé, l’éducation, la justice pour toutes et tous, bref la dignité d’un être humain. Au Tchad d’aujourd’hui, l’espoir se fait rare. L’électricité est inexistante, l’eau potable est un luxe, les écoles s’effondrent tuant des enfants, l’emploi est un mirage, les hôpitaux sont les antichambres de la mort, bref le Peuple du Tchad est laissé à son triste sort. Pendant que les membres de la junte et leurs courtisans s’enrichissent dans l’ombre, c’est l’avenir du Tchad qu’on assassine, lentement mais sûrement. Mais il n’y a pas de fatalité. L’histoire nous a appris que les pires régimes tombent quand la jeunesse se lève. Cette jeunesse qui n’a rien à perdre, sauf ses chaînes. Celle qui croit encore en un avenir différent. Celle qui refuse de se soumettre à la peur et à l’apathie. Le temps est venu de nous unir dans une mobilisation massive pour mettre terme à ces dérives. Nous lançons un appel solennel à tous les tchadiens, à parler, à s’organiser bref, à résister. 
 
Propos recueillis par Mamadou Mouth BANE