Le mauritanien Alchinguiti, dans une longue interview.
(...) Mon père était un grand lecteur. Il possédait une bibliothèque et ne prêtait jamais ses livres à personne. À une époque, il avait acheté des chameaux, mais il finit par les vendre pour acquérir des bœufs, lorsqu’il constata que les chameaux l’éloignaient de la lecture. Il disait en plaisantant que les bœufs étaient plus “civilisés” (rires), car leur compagnie lui permettait de lire au milieu d’eux, tandis que les chameaux exigeaient une activité intense, l’obligeant à courir sans cesse de gauche à droite derrière eux.
Sa première “révolution” eut lieu quand l’enseignant refusa de l’inscrire à l’école, estimant qu’il n’avait que quatre ans, alors que son grand frère fut accepté. Il raconte : « J’ai protesté en me jetant par terre et en criant de toutes mes forces. » Finalement, l’enseignant revint sur sa décision et l’inscrivit.
Il dit ne pas connaître exactement son âge, étant né dans un village reculé de Mauritanie, à la frontière du Mali. À l’époque, comment l’école déterminait-elle l’âge d’un enfant ? On lui demandait simplement de toucher son oreille gauche avec sa main droite… (rires) ».
Après avoir obtenu son doctorat aux États-Unis, il revint en Mauritanie en 2002, peu après les attentats du World Trade Center, pour des vacances. Il fut alors arrêté par les services de renseignements généraux, accusé d’être islamiste, simplement parce qu’il avait eu le courage de critiquer le régime mauritanien pour avoir renoué ses relations avec l’État hébreu.
Lors de son interrogatoire, le directeur général de la police lui demanda s’il connaissait des terroristes d’Al-Qaïda. Il répondit qu’il avait étudié en Mauritanie avec l’un de leurs leaders, qu’il décrivit avant tout comme un grand poète. Le DG exigea qu’il s’engage à ne plus critiquer le régime s’il voulait être libéré. Il rétorqua qu’il n’avait jamais pris les armes, mais qu’aucune autorité ne pouvait l’empêcher de s’exprimer et de critiquer.
Le jour de sa libération, il déclara avec ironie qu’il s’était plu en prison, car il y trouvait le temps de lire, d’apprendre, qu’on lui servait chaque jour de la nourriture et qu’il se sentait en sécurité. « Il n’y a pas de meilleure vie que celle-là », disait-il.
Professeur et chercheur au Centre d’études islamiques en Amérique, il reconnaît qu’après les attentats du 11 septembre, le climat avait radicalement changé : tout musulman était désormais suspecté d’être terroriste. Pour avoir refusé de collaborer avec le FBI, sa carte de séjour ne fut pas renouvelée et il dut quitter le territoire américain.
Je vous recommande vivement de regarder son interview, qui dure quatre heures, mais qui est d’une richesse exceptionnelle.
Dr. Ahmat Yacoub DAbio


