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"Le Tchad est entouré des voisins minés de bombes à retardement", interview A. Yacoub

Samedi 28 Août 2021

Boko Haram n’est pas tchadien. C’est un mouvement nigérian, né au Nigéria et c’était un conflit interne au Nigeria mal géré en 2009 par les forces de l’ordre nigérianes. Au début, le Tchad ne s’est pas mêlé de ce conflit et il a même proposé ses bons offices aux autorités nigérianes. Mais c’est quand Boko Haram a décidé de régionaliser le conflit en s’attaquant aux intérêts des Etats membres du Bassin du Lac Tchad notamment le Tchad et surtout après les incursions de Boko Haram sur le sol tchadien en appelant publiquement à l’instauration d’un régime islamiste au Tchad que les autorités ont évalué la situation et décidé de voler au secours des pays voisins.


 1.Quelles sont les causes profondes du conflit tchadien ?
Ahmat Yacoub : La situation conflictuelle au Tchad ne date pas d’aujourd’hui. Depuis 1963, soit seulement trois années après l’indépendance et sous le pouvoir du Président François Tombalbaye, les hostilités ont fait surface après la dissolution des partis politiques et l’arrestation de ses dirigeants. Puis en 1965, le lancement du Frolinat, (le Front de libération nationale du Tchad). Depuis 1965 jusqu’à nos jours, le pays n’a pas réussi à se libérer de ses démons. La multitude de mouvements rebelles a maintenu le pays dans une sorte d’instabilité source de tous les maux (le sous-développement, la dictature, la corruption, la guerre, le faible taux de scolarité, l’absence d’infrastructure, la violation des droits de l’homme, l’injustice dans tous les domaines y compris dans celui de la nomination aux postes de responsabilité militaire et politique..) pour n’en citer que ceux-là.
 
2. Quel rôle jouent les pays voisins dans la crise interne tchadienne ?
Ahmat Yacoub : A mon avis il n’existe pas pour l’instant une crise interne au Tchad qui nécessite l’intervention des pays voisins. Après le décès du Maréchal Idriss Déby, un comité militaire est mis en place pour la gestion d’une transition de 18 mois avec deux missions principales : 1. la réconciliation inclusive avec toutes les parties en conflits avec les institutions de l’Etat sachant qu’il existe au moins cinq mouvements politico-militaires parmi lesquels deux sont actifs sur le terrain. Ce volet nécessite sans doute des facilitateurs et des médiateurs. 2. L’organisation des élections libres et transparentes. Je crois que le pays est sur la bonne voie.
 
3. Comment et pourquoi l'Islam est-il devenu un facteur dans ce conflit ?
Ahmat Yacoub : Autant que je sache, au Tchad, la religion ne s’est pas mêlée officiellement des conflits même si, il faut le reconnaître, d’aucuns ont tenté d’exploiter la religion en vain. Nous sommes un des rares pays en Afrique pour ne pas dire au Monde où les trois religions sont unies pour combattre l’extrémisme et prêcher pour la paix et la cohabitation pacifique. Les trois religions unies ont créé une journée de paix et de cohabitation pacifique que nous fêtons en novembre de chaque année.

4. Pourquoi Boko Haram au Tchad ?
Ahmat Yacoub : Je tiens à vous rappeler que Boko Haram n’est pas tchadien. C’est un mouvement nigérian, né au Nigéria et c’était un conflit interne au Nigeria mal géré en 2009 par les forces de l’ordre nigérianes. Au début, le Tchad ne s’est pas mêlé de ce conflit et il a même proposé ses bons offices aux autorités nigérianes. Mais c’est quand Boko Haram a décidé de régionaliser le conflit en s’attaquant aux intérêts des Etats membres du Bassin du Lac Tchad notamment le Tchad et surtout après les incursions de Boko Haram sur le sol tchadien en appelant publiquement à l’instauration d’un régime islamiste au Tchad que les autorités ont évalué la situation et décidé de voler au secours des pays voisins. Grâce à l’intervention militaire tchadienne, la menace de Boko Haram a été éloignée des frontières du Niger, du Cameroun, et des villes autrefois occupées comme Banki et Gamborou, ou encerclées comme Maiduguri, la capitale du Nord du Nigéria. Sous la pression militaire, aujourd’hui, Boko Haram est en voie de s’étioler après le désengagement de 4 200 désengagés dont 54 % de femmes et la mort de 6 326. En 2020, Boko Haram ne disposait que 6 000 combattants au lieu de 16 000 en 2016.

5. Quelle est la situation des désengagés ?
Ahmat Yacoub : En 2021, nous évaluons le nombre de désassociés de Boko Haram à 7000 avec 11 800 enfants. La situation de ces personnes est réellement catastrophique avec 94,49 % sans pièce d’identité, 33,45 % affirment souffrir d’une maladie, 3,19 % ont été scolarisés avec un seul bachelier. ... Malgré une base des données de 15.264 pages que nous avons remise à la Ministre de la Femme et malgré la mise à la disposition des institutions d’une étude cartographique et statistique de 160 pages cependant aucune démarche visant à la réinsertion socioprofessionnelle de ce monde n’a pas été sérieusement envisagée. Nous avons même appris qu’environ 182 désengagés ont réussi à rentrer en Europe à travers la Libye et la mer. Pourtant le coût de l’insertion d’un désengagé ne coûte pas plus de 14 000 Fcfa soit 21,30 €uros. Les désengagés non réinsérés constituent une bombe à retardement et nous appelons la communauté internationale à prendre sérieusement ce volet, car le terrorisme n’a pas de frontière.

6. Pourquoi les jeunes rejoignent-ils Boko Haram et pourquoi s'en prennent -ils aux civils, et pourquoi brûlent-ils et détruisent des écoles ? Quelle est leur intention ?
Ahmat Yacoub : Selon une étude que nous avons effectuée 10 % de la jeunesse prête allégeance au groupe terroriste mais contrairement aux allégations des « études de climatiseur », la majorité le fait sans rapport avec la religion. L’enrôlement pour motif religieux représente seulement 16,82 % contre 83,18 % des désengagés qui invoquent d’autres motifs en rapport avec l’économie, la pauvrété (1,72%) des désengagés ont des biens agricoles et immobiliers (44 personnes), le chômage, les violations des droits de l’homme etc. S’agissant de l’incendie et de la destruction des écoles, c’est la stratégie de la terreur adoptée par boko Haram. Selon leur technicité d’enrôlement et de recrutement, ils viennent encercler à l’aube un village et ils réunissent tout le monde et prennent au hasard deux à trois personnes pour les égorger puis ils demandent l’avis des autres. Immédiatement, tous ceux qui restent prêtent allégeance à Boko Haram par peur.

        7. Quelle est la situation humanitaire sur le terrain ?
Ahmat Yacoub : Comme vous pouvez le constater le Tchad se retrouve encerclé des voisins minés par de bombes à retardement. Depuis 2003, le pays accueille un nombre important de réfugiés, des déplacés et des retournés en provenance du Nigéria, du Soudan, de la Rca, et de la Libye. Avec le conflit politico-militaire au Cameroun, des citoyens camerounais se réfugient au Tchad en raison des affrontements des factions armées des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest contre l’armée camerounaise.
En plus de la situation socioéconomique au Tchad, nous supportons un fardeau économique qui nous est imposé. J’ai lu quelque part, l’appel pressant de l’UNICEF qui demande 59,5 millions de dollars US pour répondre aux besoins d'urgence de près de 1,1 millions d'enfants vulnérables au Tchad en 2021. Vous êtes sans ignorer que des agences onusiennes et d’autres institutions internationales collectent chaque année des fonds colossaux pour disent-elles venir en aide aux personnes démunies ou dans le cadre des projets de développement au Tchad, mais en réalité, le rendement sur le terrain est décevant. Il faut que cela change et que les bailleurs de fonds exigent un rendement plus efficace sur le terrain et non dépenser plus de 80 % des fonds destinés aux projets de développement et d’aide aux démunis au versement d’importantes rémunérations aux salariés, de l’achat des grosses cylindrées et aux frais exagérés de missions non-nécessaires. Notre état a certes une part de responsabilité pour exiger un bon rendement.

8. L'ancien président s’est maintenu au pouvoir pendant 31 ans en modifiant les constitutions, ce qui a suscité de tensions sociopolitiques. Comment le pays peut-il s’en sortir et rétablir le multipartisme ?

Ahmat Yacoub : Je crois que j’ai déjà répondu à cette question. Il y a lieu de reconnaître que le pays est par terre, abandonné sous l’emprise de la pandémie, asphyxié par une situation économique catastrophique due aux conséquences du choc pétrolier de 2014 qui a entraîné une récession sévère. Il est également confronté à un endettement élevé de 2,8 milliards de dollars, soit 25,6 % du PIB, à la fin de l'année 2019. Néanmoins, il y a un Conseil Militaire de Transition dont la mission en 18 mois est double, réconcilier les Tchadiens et organiser des élections libres et transparentes. La réussite de ces deux volets peut réconforter le pays et lui éviter le pire. Il y a donc lieu de dire que le pays est sur la bonne voie avec le renforcement de la liberté d’expression, la relance de chantiers, l’autorisation des manifestations, une première dans l’histoire récente du Tchad. Toutefois, les prochaines semaines vont affirmer ou infirmer ce que je dis.

9. Face aux difficultés économiques, le FMI peine à apporter un soutien financier à votre pays. Quel sera le plan B pour relever ce défi ?
Ahmat Yacoub : C’est aux autorités compétentes de répondre à cette question qui ne relève pas de ma compétence mais la communauté internationale ne doit pas être in-grate car le Tchad par son intervention militaire a effacement contribué à la lutte contre le terrorisme en utilisant 14% de son budget. Je pense que le Tchad peut brandir la carte du retrait de ses troupes stationnées dans l’espace du G5S.

10. Enfin, quel est l'impact sécuritaire au Tchad de l’instabilité des pays voisins.
Ahmat Yacoub : Sur le plan sécuritaire, le Tchad a réussi jusqu’à présent à se prémunir des conséquences directes de l’instabilité des pays voisins. Le seul problème auquel le pays fait face est le flux des réfugiés en provenance des pays voisins en conflit.


Interview de Dr. Ahmat Yacoub Dabio réalisée par Mme Seblewongel Tariku, free journalist in Helsinki, Finland, https//www.maailma.net  (traduit de l'anglais)


Pour tout contact : yacoubahmat@aol.com
www.centrerecherche.com