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Le pouvoir !?

Samedi 12 Juin 2021

Les changements issus du contact entre la chefferie traditionnelle et l’Etat colonial deviennent préoccupants. Les lois traditionnelles non écrites et les coutumes veulent être effacées par le pouvoir étatique. Parler de la dynamique du pouvoir traditionnel dans ce contexte socioculturel reviendra alors à comprendre ce que cette réalité nous montre. Cela implique également l’imbrication de la culture autour de l’exercice du pouvoir, de ses implications dans la société, de l’évolution et du changement dont il fait l’objet. Il sera question de faire une ethnographie du pouvoir traditionnel de la socioculture Bendjia au Sud du Tchad.


Par Njerané Mardochée
Socio-Anthropologue Université de Yaoundé, chercheur associé au CEDPE
 
Mots-clés : Pouvoir traditionnel, dynamique, ethnographie, sacré
 

Introduction

Le pouvoir est donc, la capacité d'influencer, d'orienter et de délimiter la pensée ou l'action d'un individu ou d'un groupe.  C’est pour dire que l’homme est soumis à un pouvoir ou encore aux pouvoirs. Cette domination résulte du recours à la puissance pour obtenir l'exécution des décisions, elle aboutit à une dissymétrie totale entre dominants et dominés. L'obéissance des dominés est consentie lorsque l'autorité est légitime. Cette légitimité peut-être soit traditionnelle, elle repose sur la valeur des traditions ; soit charismatique quand elle repose sur les valeurs de la personne du chef. Cette légitimité est à la fois traditionnelle et moderne.  Le pouvoir traditionnel est donc au centre de plusieurs études. Il est un sujet complexe, entend-on dire dans certains milieux politiques. Sa complexité témoigne de son importance et de la nécessité d’en parler. Il arrive que le premier se montre plus efficace pour venir à bout de certaines difficultés. Parce qu’il est complexe, et apparaît par endroits comme lourd à évoquer qu’il faut en parler. Le pouvoir traditionnel, comprenez par-là chefferie traditionnelle est gardien de patrimoine traditionnel commun, est entouré de tous les respects que l’on connaît en Afrique. Il serait question pour nous de faire une ethnographie d’un pouvoir au Sud du Tchad et principalement dans le contexte socioculturel Bendjia.
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Le pouvoir

 
Le mot « pouvoir » est employé dans de nombreux contextes qui sont parfois proches des concepts d’influence ou d’autorité. Ces divers concepts doivent cependant être distingués. Le pouvoir est « la capacité d’une personne ‘’A’’ d’obtenir qu’une personne ‘’B’’ fasse quelque chose qu’elle n’aurait pas fait sans l’intervention de ‘’A’’ »[[1]]url:#_ftn1 .
M. Crozier[[2]]url:#_ftn2 insiste sur le fait que « le pouvoir est une relation et non un attribut des acteurs ». Comprendre cela nous mènera donc à dire que la notion de pouvoir met en mouvement deux individus, deux parties. C’est dans l’interaction que le phénomène de pouvoir se dévoile le plus. Le pouvoir est donc une relation « réciproque mais déséquilibrée ». Déséquilibrée dans ce sens où l’une des parties en relation tire assez d’avantages que l’autre. Toujours selon Crozier « C’est un rapport de force, dont l’un peut retirer plus d’avantages que l’autre, mais où, également, l’un n’est jamais totalement démuni face à l’autre ». Cette intervention de la force comme coercition est plus ou moins mise en balance. Les individus en relation interviennent les uns sur les autres et vice-versa pour l’obtention des faveurs sous une contrainte réelle ou apparente. Cette conception relationnelle est aussi celle de M. Foucault « le pouvoir n’est pas quelque chose qui s’acquiert, s’arrache ou se partage, quelque chose qu’on garde ou qu’on laisse échapper. Le pouvoir s’exerce à partir de points innombrables, et dans le jeu de relations inégalitaires et mobiles »[[3]]url:#_ftn3 .
Selon Max Weber[[4]]url:#_ftn4 , la théorie du pouvoir s’inscrit dans une opposition entre société traditionnelle et moderne. Sachant que cette distinction entraîne d’autres comme celle effectué entre autorité et pouvoir. D’un côté la société traditionnelle basée sur la continuité de l’autorité patriarcale et de l’autre une société moderne en plein essor qui, sous couvert de la démocratisation, sont minées par des processus de bureaucratisation, d’individualisation et de rationalisation. Pour lui, il s’agit de répondre aux questions suivantes : Dans quelle condition les hommes se soumettent-ils? Et pourquoi? Sur quelle justification interne, et sur quel moyen externe cette domination s’appuie-t-elle ? Beaucoup traite cette dialectique du pouvoir traditionnel et moderne sous un angle « endosemique ». Le mouvement de balancier entre cycles de modernisation et effets retours culturalistes n’est nullement spécifique au continent africain. Il peut se repérer par exemple dans l’Afghanistan et l’Irak sous occupation américaine : à l’échec d’une ambition de transformation succède un recours au « traditionnel », chefs tribaux en Irak et Loya Jirgha en Afghanistan. Mais le mouvement ne provient pas seulement de l’en-haut « néocolonial » de la scène internationale : l’indigénisme a ainsi fait une spectaculaire percée ces dernières années en Amérique latine. C’est bien le signe que, par-delà les cycles, la politique néo-traditionnelle est le plus sûr indice des transformations en cours, à l’instar par exemple des « récits ethniques » qui « invoquent l’essence pour gérer le changement »[[5]]url:#_ftn5 .
Parler de la dynamique du pouvoir reviendra donc à parler du mouvement, du changement, de l’évolution d’un état ‘’A’’ à un état ‘’B’’. Ce changement oblige parfois le système mis en mouvement de changer de caractéristiques parfois et ce indépendamment de sa volonté. La dynamique met en mouvement tout le système et l’oblige à quitter d’un état prime à un autre second. Malinowski (1943) nous donne des vues qui permettent d’approcher les dynamismes sociaux. Pour lui une culture doit être étudiée pour mettre à jour des significations dont l’importance est à lire dans cette socioculture dont est issue la culture. Il insiste également sur le fait que les institutions de chaque société sont en connexion entre elles et que s’il y a un changement qui touche un élément du système cela se ressent sur l’ensemble, y compris là où on l’attend le moins, le pouvoir.
 

1.Le pouvoir traditionnel une entité dynamique et remise en cause dans nos sociétés

Le pouvoir traditionnel est un système complexe où se mêlent le sacré, le charisme et encore plus l’autorité publique qui est l’Etat. Ces différents acteurs du système à travers leurs actes, l’évolution du monde, conduit ce pan du pouvoir à changer d’un état initial à un autre second qui n’adhère pas ou plus souvent ne bénéficie pas de l’approbation de tout le monde.
 

1.1.La nature sacrée du pouvoir

Le sacré et le pouvoir ont été depuis toujours au centre de plusieurs approches. Heusch (1962) met en rapport ces deux concepts en leur donnant un lien qui existe au début des temps. Cela se poursuit et au fur et à mesure dans le temps. Ce lien peut s’effriter mais il ne sera jamais rompu. Car, en tout pouvoir il existe le sacré. Dans les sociétés traditionnelles on prend des rois, des chefs comme descendants des divinités et parfois comme ces dieux eux-mêmes dans l’Egypte pharaonique. Dans certaines sociétés, cette sacralité n’est révélée que lorsque, Ngar Mbaï, le souverain, le roi, le chef est investi dans son rôle de détenteur du pouvoir politique. De ce fait par des rituels et autres procédures il acquiert ce sacré qui l’identifie aux dieux. 
 
Cette connivence du pouvoir et du sacré est signalée aussi par Balandier (1967), qui montre comment se révèlent dans les sociétés sans Etats les fondements, processus et fonctions du pouvoir. Donc il est à voir que ce rapport du pouvoir avec le politique se retrouve dans plusieurs systèmes politiques. Il reste à évoquer une « énigme », celle que pose la mystérieuse connivence du sacré et du pouvoir traditionnel, l'étrange parenté de leur mode d'exister. Le politique comme le religieux d'une façon plus générale contribue à donner de la société une image unifiée et transfigurée, idéalisée. Dans les sociétés de la tradition, la liaison forte de l'ordre du monde et de l'ordre des hommes impose une accointance forte du pouvoir et du sacré, une union très apparente dans les systèmes théocratiques, les royautés divines et les royautés où le souverain a la charge des « forces » naturelles fécondantes comme dans l'univers des rois « faiseurs de pluie ». Il y a davantage à voir. Le souverain traditionnel est séparé de la société comme les dieux le sont de l'univers humain il est à part, unique, différent, chargé de la force du pouvoir, c'est de cette distance et de sa différence qu'il tient la capacité de gouverner, de commander et d’imposer[[6]]url:#_ftn6 .  C'est là ce qui confère à la procédure de l'investiture la fonction de « faire le roi ». Il en reçoit l'initiation suprême à lui seul réservée et il en est transfiguré. Il accède à une double existence, il est encore une personne humaine, mais séparée, il est surtout une personne   mystique. La théorie des deux corps du roi (humain/mystique) souligne cette existence en double. On comprend alors qu'il n'y ait pas de pouvoir traditionnel possible sans un large déploiement de symboles, sans un encadrement rituel et cérémoniel, sans une contrainte des prescriptions (obligations) et des tabous, tout s'en trouve marqué, de l'espace palatial au corps du roi et à ce qui l'environne. Les arts servent alors conjointement la royauté et le sacré. Ainsi, dans les royaumes de la Bénoué au Nigeria, où le souverain est responsable des actes religieux dont « dépend » le bien-être du peuple, la lutte contre les puissances néfastes. Les masques royaux sont placés au centre de l'activité publique et rituelle ; ils ravivent les relations-forces entre l'homme, la nature, les ancêtres et le passé où s'enracinent la tradition, le pouvoir, l'histoire.
Ce sacré permet aussi de renforcer le mythe, les structures de l’autorité en leur donnant une explication historique et morale donc d’une conscience collective selon Émile Durkheim. Si l’entropie, le désordre guettent alors le système, les rituels permettront de rétablir l’ordre. Ces rites de commémoration ou d’intronisation, mettent en jeu le pouvoir qui au travers d’eux se revigore la pensée commune. Tout en remettant la distance entre le chef et le peuple, il rappelle ainsi l’origine sacrée du pouvoir en faisant un retour à ses origines lointaines. Cette notion du sacré du pouvoir est aussi manifeste dans la socioculture Tikar. Cette connivence est relevée dans la thèse d’ABOUNA Paul « le pouvoir et le sacré chez les Tikar : contribution à l’étude des significations dia-génétique et culturelle de l’institution politique en Afrique » pour cet auteur le pouvoir et le sacré est représenté par le chiffre sept dans cette socioculture.

 

1.2.Le sacré et le pouvoir chez les Bendjia

Parler de la sacralité du pouvoir dans le contexte  socioculturel Bendjia nous fera  comprendre ce que c’est  le pouvoir dans ce contexte  socioculturel. Quand on parle de pouvoir, on comprend immédiatement par le mot « gadji» certains diront « gadjirodeou »pouvoir intérieur. Quand le roi est ordonné chef il est mis à part, détient le « gadji » la force vitale intérieure et est donc le chef de sa socioculture. Le sacré dans cette socioculture se traduit aussi par le fait que le chef est consideré par ses sujets comme intermédiaire entre eux et les ancetres illuminés. Le sacré implique le mythe, qui est son explication, et le rite, qui est sa mise en œuvre. Le mythe reporte au temps des commencements, des origines, des créations ; il réfère à une réalité primordiale, cachée ; il permet de donner du sens et de structurer l'univers sensible. Il inscrit le sacré dans une vision du monde qui est supra-rationnelle. Donc le mythe dit le sacré et le rite le théâtralise ou le présentifie dans notre sphère humaine.
A travers l’arbre sacré qui est le caïlcédrat, le chef de village joue ce rôle en apportant les sacrifices qu’il faut pour remercier les ancetres ou demander leur faveur. Sacré, car le chef de village à travers son intronisation est ainsi sacralisé par des rituels bien précis pour lui donner ce pouvoir qu’il en n’avait pas quand il était un sujet de son père ancien roi. Ce sacré se remarque aussi par le fait que le Chef est un initié au « laou » ou autres cas de passage pour être un vrai et redoutable chef. Si cette condition n’est pas remplie ce dernier ne peut jamais etre chef,. car il y a des decisions qui ne se prenent qu’en brousse entre initiés et patriarches. Le processus de mise en sacré du chef dans la socioculture Bendjia va de la designation du chef à l’intronisation et à la présentation devant les autorités réligieuses comme politiques. La socioculture Bendjia se differe des autres chefferies telles que la chefferie Dokapti, Konduru  et même celle de Fianga avec son Wang Doré. L’intronisation ne se fait pas avec un rite et un rituel comme dans d’autres chefferies ci-haut citée où on entre dans une case réservée et l’on fait des incantations, des prières aux ancêtres et autres rites d’intronisation. Certains rites pour être chef se font sous un arbre, celui des ancêtres.  Sous cet arbre, l’on fait recours aux ancetres, aux totems pour l’execution du rite qui conferera le pouvoir supra au nouveau Chef. Dans cette théatralisation du sacré, le Chef est couvert d’une peau d’animal. Cette peau n’est pas choisie au hasard mais cela découle du fait que cette peau représente le totem de la famille dont derive le Chef. Si l’on couvre le nouveau souverain avec la peau d’une panthère et que ce dernier est un homme lion il y aura des repercussions sans pareil dans son règne. Ces répercusions sont entre autres : la famine, les termites dans les champs, le survol anormal des abeilles protectrices du village, les maladies diverses, les morts et disparutions soudaines. Le chiffre 7 intervient dans ce rite. Il représente la tête de l’être considéré porteur du pouvoir. Après les cérémonies sous cet arbre sacré, le Chef de village sera accompagné de 7 personnes : 1 crieur public, 2 assesseurs, 1 secrétaire, 1 chef de terre et de 2 goumiers (...)
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[[1]]url:#_ftnref1 Weber, M., L’économie et société. Les catégories de la sociologie, tome 1, Pocket, Paris, 1995, page ?
[[2]]url:#_ftnref2 Crozier M. et Friedberg E. : L’acteur et le système, Editions du Seuil, 1977, page ?
[[3]]url:#_ftnref3 Foucault M. : "Le sujet et le pouvoir" dans Dits et écrits, tome IV, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines (p. 222-243)
[[4]]url:#_ftnref4 Idem
[[5]]url:#_ftnref5 Denis-Constant Martin, Cartes d’identité. Comment dit-on « nous » en politique ?, Paris, Presses de la FNSP, I994, p. 32.
[[6]]url:#_ftnref6 G. Balandier, « Le sacré par le détour des sociétés de la tradition. » 1996